Lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a demandé en septembre 2024 à la nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, d'élaborer une « approche renouvelée pour le Sahel », elle a envoyé un signal clair : il est temps que l'Union européenne mette fin à sa politique erratique envers cette région d'Afrique de l'Ouest, qui nuit à ses intérêts fondamentaux en matière de sécurité et de stabilité.
Depuis une série de coups d'État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, l'engagement de l'UE au Sahel a radicalement changé. La plupart des missions militaires et de renforcement des capacités de l'UE ont été fermées, l'aide au développement a été largement gelée et les relations diplomatiques avec les juntes au pouvoir ont été considérablement réduites.
Ce désengagement a affaibli la capacité de l'UE à jouer un rôle dans les efforts de sécurité et de stabilisation dans cette région déchirée par les conflits, où les groupes armés extrémistes gagnent chaque jour plus de terrain.
La définition d'une nouvelle stratégie a été confiée à l'ancien ministre des Affaires étrangères du Portugal et diplomate expérimenté, João Cravinho, nommé représentant de l'UE pour le Sahel il y a un an. L'UE devrait reconsidérer son approche consistant à se tenir en retrait face à l'instabilité et aux conflits dans la région, ne serait-ce que pour sa propre sécurité. Mais ce changement de cap n’aura de sens que si Bruxelles reconnait qu'il n'y aura ni sécurité ni stabilité si la protection des civils n'est pas au cœur de sa démarche.
Les conflits de plus en plus violents entre les groupes armés islamistes et les forces gouvernementales, ainsi que la répression croissante depuis les coups d'État dans les trois pays, ont fait subir aux civils d'innombrables atrocités. Dans chaque pays, les civils ont été confrontés à une recrudescence d'attaques meurtrières perpétrées par des groupes armés islamistes et à des exactions commises par les forces militaires et leurs alliés. Au Mali, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), lié à Al-Qaïda, assiège la capitale, Bamako, coupant l'approvisionnement en carburant et poussant la junte à fermer les écoles et les universités.
Au Burkina Faso, l'armée et les milices alliées ont mené des opérations de contre-insurrection entachées d’abus qui ont entraîné des massacres de civils et d'autres violations graves pouvant constituer des crimes contre l'humanité.
Au Niger, l'État islamique dans la province du Sahel a intensifié ses attaques contre les civils dans l'ouest du pays, exécutant des centaines de villageois et incendiant des dizaines d'habitations.
Dans ces trois pays, les autorités ont réprimé les médias, l'opposition politique et la dissidence pacifique, faisant disparaître de force, détenant et parfois enrôlant illégalement les détracteurs des pouvoirs en place. La junte malienne a également interdit tous les partis politiques, réduisant l'espoir d'une transition vers un régime démocratique civil.
Les juntes sont en train de lentement et peut-être inexorablement supprimer tout espace civique.
Dans le même temps, les juntes ont adopté et promu un discours anti-occidental et se sont éloignées des institutions régionales et internationales, notamment en quittant la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et en indiquant leur intention de quitter la Cour pénale internationale.
Après des années de politiques dispersées, d'initiatives bilatérales et d'absence de voix unifiée et cohérente, une stratégie européenne renouvelée peut être une occasion importante de ramener l'UE dans le jeu, à condition qu'elle place la sécurité des civils et leur bien-être au centre de ses préoccupations.
Il ne peut y avoir de stabilité tant que des civils sont délibérément pris pour cible, ni de coopération en matière de sécurité avec des gouvernements qui commettent des crimes en toute impunité, ni de légitimité si l'UE détourne le regard de la souffrance des populations affectées par les conflits.
Premièrement, la stratégie renouvelée de l'UE devrait clairement exprimer la demande que toutes les forces gouvernementales et leurs alliés doivent agir pour protéger tous les civils à tout moment. Ce principe devrait être non négociable.
Deuxièmement, l'UE devrait se concentrer sur le soutien aux victimes de violations graves des droits humains, notamment par le biais de l'aide humanitaire, des soins de santé, du soutien psychologique et de l'accès à la justice pour elles et leurs familles.
Troisièmement, la justice et la reddition de comptes devraient être au cœur de tout engagement de l'UE. Une surveillance indépendante des forces de sécurité, des enquêtes sur les crimes et le fait de rester membre de la Cour pénale internationale devraient être des conditions essentielles à tout futur partenariat en matière de sécurité.
Enfin, l'UE devrait soutenir les organisations de la société civile, les défenseurs des droits humains, les journalistes et les chercheurs, qui pourraient contribuer à ramener le Mali, le Burkina Faso et le Niger sur la voie du respect des droits humains et de l'État de droit. La crédibilité stratégique de Bruxelles au Sahel sera jugée non seulement à l’aune de son action en matière de sécurité, mais aussi sur sa volonté d'agir en faveur de la dignité, de la responsabilité et de la justice.
Ancrer sa nouvelle approche dans ces principes n'est pas une vue idéaliste : c'est une nécessité et c'est faisable. C'est le message qui devrait être envoyé aux dirigeants de la junte. C'est aussi le message d'espoir que les civils, qui subissent de plein fouet la situation tragique de la région, sont en droit d'entendre.