- La Cour pénale internationale (CPI) est attaquée, entre autres, par les États-Unis et la Russie, des pays déterminés à porter atteinte à son mandat de tribunal de dernière instance.
- Les pays membres de la CPI devraient rester fermes dans leur défense de la Cour, afin que la justice impartiale demeure un pilier de l’ordre international fondé sur les règles.
- Les pays membres de la CPI devraient aussi profiter de leur rencontre annuelle pour défendre les organisations de défense des droits humains et les autres groupes collaborant avec la CPI, mais aussi pour appliquer les décisions judiciaires à l’encontre des membres qui manquent à leur obligation d’arrêter et de transférer les personnes recherchées par la Cour.
(La Haye) – Les pays membres de la Cour pénale internationale (CPI) devraient intensifier leurs efforts afin de protéger la Cour et les organisations de défense des droits humains qui font campagne en faveur de la justice, face aux attaques les ciblant, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport. Ce document de 22 pages comprend des recommandations détaillées en vue de la 24ème session annuelle de l’Assemblée des États parties de la CPI, qui se tiendra à La Haye (Pays-Bas) du 1er au 6 décembre 2025.
En 2025, l’administration américaine du président Donald Trump a infligé des sanctions à des responsables de la Cour, à une experte des Nations Unies et à des organisations palestiniennes de la société civile ; ces mesures constituent une véritable attaque contre la justice et l’état de droit international. Les mandats d’arrêt russes émis en 2023 et 2024 à l’encontre de responsables de la CPI demeurent en vigueur. En juin, la Cour a fait face à une deuxième grave cyber-attaque à des fins d’espionnage.
« Les efforts de gouvernements pour porter atteinte à la CPI reflètent plus généralement les attaques contre l’état de droit mondial, avec pour objectif d’invalider les institutions qui entendent demander des comptes aux responsables des pires crimes », a déclaré Liz Evenson, directrice du programme Justice internationale de Human Rights Watch. « Les pays membres de la CPI devraient rester fermes dans leur défense de la Cour, afin que la justice impartiale puisse demeurer un pilier de l’ordre international fondé sur les règles. »
Cette session de l’Assemblée se tiendra dans un contexte d’importantes avancées réalisées par la CPI au cours de l’année écoulée. En mars, les Philippines ont remis à la Cour l’ancien président Rodrigo Duterte pour qu’il réponde à des accusations de crimes contre l’humanité liés à la tristement célèbre « guerre antidrogue » du pays, qui a tué des dizaines de milliers de personnes. En octobre, lors d'un procès qui a fait date, les juges de la CPI ont condamné un ancien chef de milice « Janjawid » pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis dans le Darfour, au Soudan.
Le 6 février, le président Trump a émis un décret présidentiel qui autorise à geler les avoirs et à interdire l’entrée sur le territoire des représentants de la CPI et d’autres personnes contribuant à son travail. Ce décret cherche clairement à protéger des responsables américains et israéliens face aux inculpations dont ils pourraient faire l’objet devant la CPI. En novembre 2024, les juges de la CPI ont émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benyamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés commis à Gaza.
Le gouvernement des États-Unis s’est servi du décret présidentiel pour infliger des sanctions au Procureur de la CPI, aux deux procureurs adjoints, à six juges de la Cour, à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 et à trois éminentes organisations palestiniennes de défense des droits humains : Al-Haq, le Centre Al-Mezan pour les droits humains et le Centre palestinien pour les droits humains.
Les sanctions des gouvernements ne devraient être employées que pour cibler ceux qui commettent des crimes graves, et non pas ceux qui documentent ces crimes ou rendent justice à leurs victimes, a déclaré Human Rights Watch.
Si elles ne sont pas contrôlées, les sanctions américaines pourraient faire gravement reculer la lutte mondiale contre l’impunité. Les personnes et les organisations ciblées par les sanctions des États-Unis ont perdu des financements, mais aussi l’accès à leurs comptes bancaires et à d’autres services financiers, et font l’objet de restrictions sur les médias sociaux. Afin de prendre un minimum de risques, les institutions financières respectent généralement les sanctions américaines et peuvent refuser de façon préventive des transactions avec la CPI, ce qui met en péril le travail qu’elle accomplit dans le monde entier.
Les pays membres de la CPI devraient profiter de l’occasion offerte par la session de l’Assemblée pour démontrer leur soutien fort en faveur de la Cour et les défenseurs des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les États parties à la CPI ont fait des déclarations individuelles et conjointes condamnant les sanctions des États-Unis. Ils peuvent s’appuyer sur ces déclarations, lors de la session, pour montrer qu’ils ne seront pas dissuadés de la soutenir.
Les États membres devraient aussi s’engager à prendre davantage de mesures concrètes afin de limiter, voire, si c’est possible, annuler les effets des sanctions et d’autres mesures coercitives contre la Cour, ses responsables et les personnes coopérant avec elle, y compris au sein de la société civile. L’Union européenne n’a toujours pas agi pour utiliser sa loi de blocage, qui pourrait apporter une mesure de protection face aux effets illégaux des sanctions américaines. Lors de la session, les États membres de l’UE devraient appeler à l’application de cette loi.
Parmi les autres questions de l’ordre du jour de l’Assemblée, figure le fait que certains pays membres de la CPI – l’Italie, la Hongrie et le Tadjikistan – n’ont pas coopéré pour l’arrestation d’individus recherchés par la Cour qui se trouvaient sur leur territoire. Sans arrestations, la Cour ne peut pas rendre justice ; or elle compte sur les gouvernements pour procéder à ces arrestations.
C’est la première fois en 24 ans que l’Assemblée tiendra une séance plénière consacrée à la question de la non-coopération. Elle se penchera sur une décision des juges de la Cour selon laquelle la Hongrie a bafoué ses obligations légales lorsqu’elle a manqué d’arrêter le Premier ministre Benyamin Netanyahou lors de sa visite à Budapest en avril. Les pays membres ne devraient pas rater cette occasion de s’acquitter de leur responsabilité d’appliquer les conclusions des juges et de préparer le terrain pour traiter de telles futures décisions devant l’Assemblée, a déclaré Human Rights Watch.
Les pays membres de la CPI détermineront également le budget de la CPI pour 2026. La Cour a émis une requête conservatrice du point de vue comptable, axée avant tout sur la résilience de l’institution face aux défis actuels, parmi lesquels les sanctions américaines. Les pays membres devraient veiller à ce que la Cour dispose de ressources suffisantes dans son budget ordinaire de l’année prochaine, afin de la rendre aussi résiliente que nécessaire, tout en continuant à mener à bien son mandat international, a déclaré Human Rights Watch.
« La CPI a ses failles, mais elle demeure le tribunal de dernière instance pour des milliers de victimes et de proches qui n’ont aucun autre recours », a conclu Liz Evenson. « En montrant un front uni lors de leur session annuelle, les pays membres de la CPI peuvent adresser un message clair et fort : ils restent inébranlables et implacables dans leur lutte pour la justice. »